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Les Echos – 03/11/2009
Paris-Le Havre, la diagonale vertueuse
Un territoire n'existera demain que dans la mesure où il est capable de constituer une « économie monde », porteuse de prospérité et berceau de civilisation.
Parmi les réformes engagées par le président de la République, la plus innovante est sans doute celle qui concerne l'organisation territoriale. Elle l'est d'abord philosophiquement, par la vision du territoire qui l'inspire. Elle l'est aussi par la dynamique qu'elle est capable d'engendrer: sa diagonale vertueuse.
De fait, sous le nom de réforme territoriale, trois réformes sont menées en parallèle, de manière relativement indépendante, même si elles ne peuvent manquer d'avoir des répercussions les unes sur les autres.
Il y a d'abord la réforme des collectivités territoriales, destinée d'abord à simplifier l'écheveau territorial, à en réduire les coûts en divisant par deux le nombre des conseillers territoriaux qui siégeraient à la fois dans la région et dans le département, mais aussi à promouvoir une nouvelle forme d'organisation territoriale centrée sur quelques métropoles. Pour une grande part, cette réforme s'inscrit dans le cadre traditionnel d'une réforme de l'Etat conçue comme rationalisation administrative. A vision constante du territoire, on cherche à en réduire les coûts d'administration tout en cherchant à en augmenter l'efficacité. On sait ce qu'il advient de ces réformes: elles suscitent d'autant plus de résistances que chacun voit ce qu'il perd sans apercevoir ce qu'il gagne.
Il y a ensuite le Grand Paris version Christian Blanc qui concerne moins Paris que son agglomération périphérique et l'Ile-de-France. On reste dans une vision classique de Paris, concentration d'hommes et de richesses, qui n'a cessé de grandir à sa périphérie, donnant lieu à la fois au phénomène des banlieues et à la localisation de pôles d'excellence que le projet cherche à rendre visibles à eux-mêmes, en les inscrivant dans un réseau de transport public qui les mettrait en communication entre eux et avec le centre historique de la capitale. De fait, on étend les frontières de Paris dont les portes deviennent les aéroports et des gares situées en périphérie.
Il y a enfin le projet de faire du Havre le port de Paris. Nicolas Sarkozy a eu l'occasion de le présenter à trois reprises en 2009 : en avril au moment de la consultation des architectes sur le Grand Paris, en juillet en rappelant la vocation maritime de la France, en octobre en expliquant la réforme des collectivités territoriales. A première vue, l'inspiration vient des travaux de Fernand Braudel, pour qui l'histoire atteste qu'une ville ne peut prétendre être au centre d'une « économie monde» sans être liée à un port. Pour que Paris garde son statut de «ville monde », il faudrait donc l'associer à un port. Voilà qui expliquerait le projet. Ce n'est pas suffisant. Pourquoi, dans une vision européenne, le port de Paris ne serait-il pas Anvers, qui n'est pas si éloigné et qui est déjà relié à Paris par TGV et autoroutes? Parce que la vision du président de la République ne procède pas de la seule rationalité administrative. Elle est politique et nationale. Le problème n'est pas seulement de donner un port à Paris, mais de penser la France dans le monde qui vient. Il s'agit de la reconstitution du territoire français à partir de sa façade maritime.
Nous héritons d'une vision du territoire qui date de la Révolution française. La République voulait unifier une France disparate, assemblage de provinces et de pays divers en une France unie parce que détachée de son passé. La solution fut trouvée dans la problématique administrative du département. La Révolution pense le territoire français dans les frontières de son Etat, par rapport à lui-même, dans la même vision géométrique dont procèdent le Code civil et le système métrique. Elle est égalitaire. Cette vision dominera l'aménagement du territoire jusque très récemment: elle conduit à empêcher que Paris ne concentre la richesse nationale et à doter chaque département des mêmes équipements, même si cela n'a guère de sens comme en matière universitaire.
L'innovation philosophique qui porte le projet «Le Havre, port de Paris» ou «Seine Métropole », pour reprendre le titre que lui dorme Antoine Grumbach, consiste à dire que le territoire de la France ne doit plus désormais tant être pensé par rapport; à lui-même – dans une vision d'homogénéisation -, que par rapport au monde. Il s'agit de savoir comment constituer la France comme un territoire qui resterait pertinent dans la compétition mondiale. Ce qui change entre la vision 1791 et la vision 2009 ? La prise en compte de la mondialisation, c'est-à-dire du fait que, si les frontières n'ont pas disparu, elles ne peuvent plus interrompre les communications. Telle est alors l'équation: comment penser un territoire national qui ne serait plus enfermé dans ses frontières et qui serait un pôle de référence dans un monde global. Dans cette vision, Paris ne doit plus seulement être pensé comme la capitale de la France. C'est une marque, un des pôles d'un territoire beaucoup plus vaste s'affirmant au centre d'une économie monde dans la compétition mondiale.
Cette vision fait du projet « Le Havre, port de Paris» ou «Seine Métropole» un pilote pour les autres dimensions de la réforme territoriale. Un territoire n'existera demain que dans la mesure où il est capable de constituer une « économie monde », porteuse de prospérité et berceau de civilisation. En formulant le projet «Le Havre, port de Paris », le président de la République forme le vœu d'une expérimentation territoriale qui puisse servir de modèle pour d'autres « économies monde ». Un défi passionnant, capable de mobiliser les énergies de tous parce que permettant de se dépasser vers un avenir où elles ont beaucoup plus à gagner qu'à perdre, Prise ainsi, la réforme territoriale pourrait se révéler comme cette diagonale, ce levier, ce point d'Archimède qui fait que là où on ne voyait qu'impasses et blocages se dessine un chemin d'ouverture.
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